Effet de la lidocaïne en perfusion constante sur la survie des lapins atteints d'obstructions gastro-intestinales
La perfusion à débit constant de lidocaïne améliore la probabilité de survie chez les lapins présentant des obstructions gastro-intestinales : 64 cas (2012-2021)
Huckins GL, Tournade C, Patson C, Sladky KK. Lidocaine constant rate infusion improves the probability of survival in rabbits with gastrointestinal obstructions: 64 cases (2012-2021). J Am Vet Med Assoc. 2023 Sep 27;262(1):61-67.
L’iléus mécanique est un diagnostic relativement courant chez les lapins de compagnie, et les obstructions sont fréquemment causées par des boules de poils comprimées (trichobézoard) dans le duodénum proximal. La présentation clinique est souvent aiguë et caractérisée par une anorexie aiguë, une absence de production fécale, une dépression, une hypothermie (< 37,2 °C), un estomac distendu et tendu à la palpation abdominale et, fréquemment, un choc hypovolémique. La pathologie est le plus souvent diagnostiquée par imagerie l’imagerie médicale. Historiquement, le traitement des obstructions gastro-intestinales chez les lapins était difficile, engendrait un pronostic réservé pour cette affection. Un traitement médical peut être réalisé avant le traitement chirurgical, en raison du risque élevé de complications chirurgicales et de mortalité postopératoire. Bien qu’il n’existe pas de traitement standard consiste par, une stabilisation de l’hypovolémie avec des liquides cristalloïdes IV ou une solution saline hypertonique, une décompression gastrique et une analgésie opioïde. Selon certains auteurs, ce traitement peut également inclure des AINS et des prokinétiques. La survie après un traitement médical a varié de 63 % à 91 %, selon le protocole. Un traitement chirurgical est réalisé en l’absence de réponse au traitement médical, et la survie a été rapportée de 47,5 % à 100 %, bien que ce dernier résultat ne soit basé que sur un échantillon de de 5 lapins.
La lidocaïne est un inhibiteur des canaux sodiques qui a été utilisé en médecine humaine et vétérinaire comme agent analgésique systémique après la réalisation de chirurgies gastro-intestinales. La lidocaïne aurait des effets anti-inflammatoires/anti-endotoxines et prokinétiques. En médecine humaine, il a été démontré que les perfusions à débit constant (CRI) de lidocaïne permettent de diminuer l’utilisation d’opioïdes, diminuent le temps de retour à une fonction intestinale normale et raccourcissent les séjours à l’hôpital après une chirurgie gastro-intestinale et de la prostate. En médecine vétérinaire, les CRI de lidocaïne ont été utilisées plus fréquemment chez les chevaux après une chirurgie colique, mais deviennent plus populaires en anesthésie et analgésie en médecine des petits animaux. Les résultats d’une étude récente ont démontré que la lidocaïne IV améliorait la prise alimentaire et la production fécale chez les lapins après une ovariohystérectomie par rapport au groupe ayant reçu de la buprénorphine. Bien que les scores de douleur soient similaires entre les 2 groupes, les lapins ayant reçu une CRI de lidocaïne étaient plus susceptibles d’afficher des comportements normaux après l’opération par rapport aux lapins ayant reçu de la buprénorphine. Dans une autre étude, les CRI de lidocaïne ont permis une diminution de la concentration minimale alvéolaire d’isoflurane chez les lapins. De plus, des études sur des lapins de laboratoire traités avec l’endotoxine d’Escherichia coli ont démontré que les CRI de lidocaïne ont des effets anti-endotoxémiques cliniquement significatifs.
L’objectif de cette étude était de comparer rétrospectivement la survie des lapins présentant des obstructions gastro-intestinales diagnostiquées et traités avec ou sans lidocaïne IV CRI. Les auteurs ont émis l’hypothèse que les lapins traités avec de la lidocaïne IV CRI auraient des taux de survie améliorés par rapport aux lapins traités sans lidocaïne CRI.
Matériel et méthodes
Ont été inclus dans cette étude des cas d’obstruction gastro-intestinale chez les lapins (n = 56, dont 64 obstructions), présentés dans un hôpital universitaire vétérinaire de 2012 à 2021. Les cas ont été inclus dans l’étude s’il y avait des image radiographiques ou tomodensitométriques en faveur d’une obstruction de l’intestin grêle ou répondaient à tous les critères suivants : (1) anorexie aiguë ; (2) absence de production fécale ; (3) hyperglycémie (> 3g/L]) ; (4) estomac dilaté et ferme à la palpation abdominale ; (5) hypothermie (< 37,2 °C) ; et (6) dilatation du liquide gastrique sur les radiographies. La dilatation gastrique a été définie comme une extension de la paroi gastriques au-delà de la deuxième vertèbre lombaire et/ou un contact de la paroi gastrique avec la paroi abdominale. Tous les lapins ayant subi une intervention chirurgicale ont été exclus de l’analyse statistique.
Il s’agissait d’une étude rétrospective dans laquelle les données sur les lapins présentant des signes d’obstruction gastro-intestinale ont été extraites des dossiers médicaux d’hôpitaux universitaires vétérinaires sur une période de 9 ans. Le traitement systémique à la lidocaïne, la race, le sexe, l’âge, la température à la présentation, la glycémie à la présentation et le délai de sortie ou de décès ont été évalués par régression logistique univariée et multivariée pour identifier les facteurs significativement associés à la survie jusqu’à la sortie de l’hôpital chez les lapins présentant une obstruction gastro-intestinale.
Pour le groupe non traité avec de la lidocaïne, les traitements consistaient en l’utilisation de solutés cristalloïdes IV et une analgésie opioïde. La dose de soluté IV variait de 65 à 290 ml/kg/j avec une moyenne de 184,5 ml/kg/j et une médiane de 180 ml/kg/j. La buprénorphine était l’opioïde le plus couramment utilisé et la dose variait de 0,01 à 0,05 mg/kg avec une moyenne de 0,038 mg/kg et une médiane de 0,045 mg/kg.
Pour le groupe traité avec de la lidocaïne, les traitements consistaient en l’utilisation d’une CRI de lidocaïne à raison de 75 à 100 μg/kg/min pendant 1 à 3 jours ± une dose de charge de 2 mg/kg IV, des liquides cristalloïdes IV et de la buprénorphine. La dose de CRI de lidocaïne a été choisie sur la base de rapports antérieurs sur l’utilisation de CRI de lidocaïne comme analgésique chez les lapins. La dose de liquide IV variait de 100 à 270 mL/kg/j avec une moyenne de 132,7 mL/kg/j et une médiane de 120 mL/kg/j. Pour la buprénorphine les doses variaient de 0,02 à 0,05 mg/kg et étaient le plus souvent administrées par voie IV.
Du foin d’herbe, des granulés et des légumes verts mélangés étaient à la disposition des patients, mais aucun lapin n’a reçu d’alimentation assistée jusqu’à ce que les obstructions soient résolues.
Les obstructions ont été considérées comme résolues sur la base de la présence de gaz dans le cæcum ou le côlon sur les radiographies ou lorsque le lapin a commencé à manger volontairement.
Résultats
89,7 % des lapins traités par lidocaïne CRI (N=39) ont survécu et sont sorties de l’hôpital, tandis que seulement 56 % des lapins qui n’ont pas été traités par lidocaïne CRI (N=25) ont survécu. Dans l’analyse multivariée finale, 2 facteurs ont été associés à la survie à la sortie : les lapins traités par lidocaïne en CRI avaient des chances de survie accrues par rapport à ceux non traités par lidocaïne et les lapins males avaient des chances de survie accrues par rapport aux femelles.
En résumé
Les résultats ont démontré que les lapins souffrant d’obstruction gastro-intestinale et traités par lidocaïne CRI avaient plus de chances de survivre que les lapins non traités par lidocaïne CRI.
Pour aller plus loin
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