Intérêts des objets connectés dans le monitoring de la douleur chronique
Raphaëlle Laffitte – Anesthésie et Analgésie – CAPDOULEUR 2023
L’impact de la douleur chronique sur la qualité de vie des carnivores domestiques a été largement documenté au cours des dernières années. La douleur chronique est maladaptative et délétère, elle regroupe plusieurs composantes et altère sévèrement la qualité de vie des animaux domestiques. Lorsqu’un praticien vétérinaire fait face à un patient souffrant de douleurs chroniques, plusieurs opportunités thérapeutiques s’offrent à lui. Le premier axe de traitement peut être chirurgical, il consiste à traiter spécifiquement l’origine de la douleur chronique (cancer, arthropathie dégénérative, hernie discale chronique, gingivostomatite chronique féline…). Ce traitement chirurgical permet de résoudre tout ou partie de la douleur chronique et améliore, lorsqu’il est possible, significativement la qualité de vie de l’animal. Néanmoins, les conséquences antérieures de la douleur chronique ne sont pas entièrement traitées par approche chirurgicale. Certaines pathologies engendrant de la douleur chronique peuvent ne pas être prises en charge chirurgicalement (cystite chronique idiopathie, neuropathie diabétique, etc.).
Un second axe de traitement est donc l’approche médicamenteuse. En fonction de l’étiologie de la douleur chronique, certaines thérapeutiques sont plus ou moins adaptées. Le traitement spécifique de la pathologie est nécessaire, dans le cas de maladies métaboliques associés à des douleurs chroniques par exemple (hypercorticisme, diabète, etc.). En fonction des composantes de la douleur chronique dont souffre le patient (inflammatoire, neuropathique, nociceptive ou fonctionnelle), différents traitements médicamenteux peuvent être administrés au patient. Les anti inflammatoires, stéroïdiens ou non stéroïdiens, administrés par voir locale, systémique ou orale sont une arme redoutable pour limiter le cycle inflammatoire qui entretient la plupart des douleurs chroniques. Les gabapentinoïdes limitent la sensibilisation centrale et l’apparition de la douleur neuropathique. Les dérivés opioidiques (e.g. tramadol) sont utiles lors de crise de douleur aigue dans un contexte de douleur chronique. Les antagonistes NMDA que sont la kétamine et l’amantadine font barrière au wind-up et à l’hyperesthésie. Enfin de nombreuses thérapeutiques émergent et complètent ces arsenaux tels que les anticorps monoclonaux anti-NGF et les cannabinoïdes (CBD et dérivés) qui montrent une efficacité clinique de mieux en mieux documentée pour un éventail élargi de maladies entrainant des douleurs chroniques.
Un troisième axe de traitement des douleurs chroniques, complémentaire aux deux autres, est la mobilisation du système musculo-squelettique des patients par des traitements physiques comme la physiothérapie ou l’ostéopathie. Parfois, le maintien du niveau d’activité physique d’un animal participe à sa bonne qualité de vie. Par exemple, certains patients souffrant d’obésité sont plus à risque de développer de l’arthrose. Un cercle vicieux se met en place : des maladies cardiovasculaires associées peuvent apparaitre, le patient montre des difficultés à se déplacer et peut souffrir de troubles du sommeil du fait des douleurs chroniques. Pour l’animal obèse, un programme alimentaire (nutrition clinique) et une activité journalière adaptée peuvent aider à la perte de poids et limiter son impact sur le développement de douleurs chroniques. Celles-ci sont souvent responsables de l’augmentation de la sédentarité des carnivores domestiques : c’est ce que l’on observe chez les chiens et chats développant de l’arthrose. A terme, l’animal limite ses comportements physiologiques (alimentation, déplacements, sauts, interactions avec ses propriétaires, toilettage, etc.) et peut démontrer des changements de comportements importants comme une apathie, une agressivité, des comportements d’automutilation…
Il existe plusieurs manières de monitorer la douleur chronique des animaux domestiques. Des échelles de scoring de douleur sont adaptées à l’utilisation par les propriétaires pour l’évaluation à domicile de la douleur ou de la qualité de vie de leur animal. Ces outils métrologiques ont démontrés leur spécificité et leur sensibilité dans le suivi des douleurs chroniques : ce sont les échelles CBPI (Canine Brief Pain Inventory index), LOAD (Liverpool OsteoArthritis in Dog index), HCPI
(Helsinki Chronic Pain Index). Elles sont pour la plupart adaptées aux animaux souffrant d’arthrose et reposent sur des critères subjectifs et/ou qualitatifs, elles peuvent être biaisées par un effet placebo du propriétaire. Des applications sur smartphones existent pour le suivi de la douleur des carnivores et des lapins. Elles autorisent une approche individualisée de l’animal et une alliance thérapeutique entre le vétérinaire et le propriétaire.
Depuis une quinzaine d’années émergent donc des outils connectés basés sur la mesure de paramètres physiologiques quantitatifs cherchant à corriger ces biais. Ces instruments permettent la collecte de données à domicile dans un environnement connu par l’animal. Certaines études montrent que l’utilisation de body/harnais ou collier connectés est particulièrement intéressante dans le suivi de l’activité physique des animaux en postopératoire immédiat. Avant la mise en place d’un traitement pour juger de son efficacité ou pour suivre la variation d’activité journalière, les accéléromètres transmettent les résultats par bluetooth au propriétaire sur une plateforme dédiée. Ces données peuvent être confiées au vétérinaire traitant qui met en place ou adapte un traitement antalgique. Aujourd’hui, les moniteurs d’activité reposent sur des technologies nouvelles issues de la rhumatologie humaine. Leur taille permet leur utilisation sur les animaux de toute taille. Ils autorisent la quantification de l’activité de l’animal, sa durée et son intensité. Ils sont résistants à l’eau, rechargeables et pour certains programmables pour l’enregistrement de données sur une certaine période. Leur utilisation est croissante en Amérique du Nord et en Europe, elle permet d’évaluer simplement l’apparition de signes précoces de douleur chronique comme leur évolution au cours de la journée ou de la vie de l’animal. En effet, l’augmentation de l’activité journalière est directement corrélée à la diminution des douleurs chroniques chez l’animal arthrosique. Certains traitements peuvent cependant provoquer des comportements d’apathie ou de sédation (ex : gabapentine chez le chat), le monitoring porté permet d’identifier ces phases et d’adapter la thérapeutique au besoin.
La mesure de la fréquence cardiaque, respiratoire et de la température est une option proposée par ces colliers connectés. Cela peut être utile pour un praticien qui cherche à évaluer l’efficacité du traitement d’une cardiopathie par exemple, elle-même influençant directement le niveau d’activité de l’animal concerné. Certains colliers connectés disposent de technologie GPS qui détermine les périmètres de déplacement des chats. Une augmentation des déplacements peut être le signe d’un confort retrouvé (meilleure habilité à se déplacer). Des litières connectées font leur apparition dans l’arsenal des objets connectés. Elles peuvent mesurer les forces exercées au sol de la litière, détecter une modification des appuis de l’animal et identifier une douleur précoce. Elles permettent aussi de quantifier les passages à la litière, la quantité d’urine et de selles émises par le chat. Cela est notamment utile pour le suivi d’un chat souffrant de cystites idiopathiques récurrentes.
De nombreuses gamelles connectées sont disponibles, elles identifient l’animal par reconnaissance faciale ou par détection de sa puce électronique. Elles enregistrent la qualité et la quantité d’aliment consommé par l’animal. Elles sont utiles dans le suivi de recommandations alimentaires prescrites par le vétérinaire. Les chats souffrant de gingivostomatite chronique présentent une réduction de leur prise alimentaire du fait des douleurs inflammatoires chroniques sévères de la cavité buccale.
Après une prise en charge chirurgicale ou médicamenteuse, l’augmentation de la prise alimentaire suggère le rétablissement du confort buccal. Pour la consommation d’eau, des fontaines préviennent le propriétaire d’un abreuvement excessif, signe d’une insuffisance rénale chronique par exemple.
Ces innovations technologiques s’inscrivent dans la tendance à la digitalisation de la médecine vétérinaire et à l’intégration progressive du propriétaire dans le suivi thérapeutique. La participation de ce dernier dans le monitoring de la douleur chronique via des applications ou des objets connectés permet une approche individualisée, précoce et pérenne de chaque animal. Ces technologies sont complémentaires à un examen clinique de l’animal. Elles ne doivent pas remplacer un examen physique régulier du patient par son vétérinaire, qui reste absolument essentiel pour un suivi antalgique adapté.